Allez, avouez. Il y a encore quelques années, quand on osait vous parler de «whisky français» vous reteniez une grimace, de celles qu’on ravale quand de jeunes parents extatiques nous collent fièrement sous le nez la photo de leur vilain bébé. Bien, bien, resservons-nous un scotch… Oh, vous aviez des excuses. Longtemps, le whisky français avait tout simplement oublié de naître, et l’explication à ce mystère nous a occupé ici.
Et puis, il faut bien l’avouer, le whisky français venait en grande partie… d’ailleurs, autrement dit d’Écosse. Aujourd’hui encore, on peut légalement embouteiller sous étiquette «made in France» de la gnôle des Highlands achetée en vrac sans lui faire risquer la déchéance de nationalité. Il suffit que la dernière «transformation substantielle» du produit (la mise en flacon, en l’occurrence) soit effectuée dans notre beau pays. À croire que la question des origines nous taraude moins quand il s’agit de trinquer –fermez la parenthèse.
Une révolution
De toute façon, on ne trouvait pas grand-chose pour se tapisser joliment le gosier: quelques vintages chez le pionnier Armorik, quelques séries très limitées chez la drama queen de Bretagne, Glann Ar Mor, et en fouillant bien une ou deux bouteilles sympa en Alsace. Pas de quoi pavoiser. Et puis soudain, fini de rire, de se moquer, de se pincer le nez. Le whisky français est devenu bon. Très bon. Très, très bon parfois.
Une révolte? Non, sire: une révolution. On ne remerciera jamais assez la distillerie bretonne Warenghem, qui en 1983 a pris le risque de planter le drapeau bleu-blanc-rouge dans le tartan du whisky, et endosse aujourd’hui avec classe et humilité la faute originelle.
Gains d'expertise
Pari gagné. Le single malt Armorik Classic est déjà sur ce nouveau distillat, et le changement n’est pas passé inaperçu puisque les ventes décollent pleins gaz. À horizon deux ou trois ans, c’est toute la gamme qui aura changé de goût, pour le meilleur. Certains d’entre vous ont-ils eu le bonheur de tremper les lèvres dans le single cask Vinho présenté au dernier Whisky Live Paris? «Cette qualité, c’est en train de devenir la norme», jure David Roussier.
On ne soulignera jamais assez les bienfaits du tourisme en Écosse. En 2002, une virée dans le Speyside déclenche un tilt existentiel chez Christophe Dupic, le patron de Rozelieures qui, de retour en Lorraine, entreprend de distiller du malt à côté de la mirabelle ancestrale: «Nous fabriquions des eaux-de-vie blanches, non vieillies, et forcément nous n’avions pas l’habitude d’oxygéner les spiritueux, on ne connaissait rien à la maturation sous bois. Il a fallu tout apprendre, et ça ne s’improvise pas!» Un consultant, Christian Vergier, bien connu des amateurs de cognac et de rhum, est finalement appelé à la rescousse et prend la main sur les chais.
Fini les barriques à pot de fleur, la futaille est revue à la hausse, Rozelieures apprend à jongler en artiste avec le bois et les chauffes. Et les sites de vieillissement s’éparpillent pour créer des conditions de maturation variées : un grenier, une cave et un ancien fort militaire perché à 400 m d’altitude. «C’est fantastique! On peut s’éclater sur les assemblages», s’enthousiasme Christophe Dupic.
Bilan? Des médailles en rafales dans les concours de dégustation. Le Rozelieures Fumé Collection sorti l’année dernière et le Tourbé Collection à la rentrée ont suscité un goût de revenez-y massif chez les amateurs. En attendant que les fûts de Bourgogne qui roupillent dans les chais nous livrent leurs secrets.
Encore un peu de patience pour laisser se former des stocks conséquents dans les chais. Pour l’heure, les distilleries françaises travaillent souvent sur de trop petits batchs, et les plus jeunes doivent se contenter d’embouteiller des single casks. «Mais le temps joue pour nous, se réjouit Philippe Jugé, qui œuvre à rassembler le troupeau des producteurs au sein de la toute nouvelle Fédération du Whisky de France. Les recettes s’améliorent, les process de fabrication aussi. L’avenir s’annonce radieux.» N’attendons pas quinze ans pour reprendre des paris.