Le jus de raisin, après tout, sent le raisin. Or, le vin est issu de la fermentation alcoolique qui - réduite à sa plus simple expression - correspond à la transformation du sucre présent dans le jus de raisin en alcool. Mais cette transformation s'accompagne de nombreuses autres réactions qui sont à l'origine d'arômes. En fait, tous ces arômes sont attribuables à une molécule ou à une famille de molécules bien précises.
Un vin peut contenir des centaines de composés aromatiques très divers. Il peut donc en effet sentir la framboise, le poivron ou le café, tout comme le pipi de chat, le pétrole ou le fumier.
Ces composés proviennent de différentes sources. Plusieurs sont présents dans le raisin et contribuent au caractère variétal d'un cépage. Leur teneur dans le raisin diffère notamment selon le cépage, le mode de culture, les rendements, la météo et la maturité à la vendange.
Pendant les vinifications, la température, les techniques ou les levures utilisées jouent aussi un rôle déterminant dans le développement d'arômes.
Et lors de l'évolution du vin, d'autres transformations s'opèrent et sont à l'origine de nouveaux composés aromatiques. Ils seront différents si l'élevage se fait en barriques, en cuves ou en bouteilles...
Ces arômes existent réellement. Au fil des ans, on a identifié les molécules qui en sont responsables : la rotendone pour l'arôme de poivre noir ; la béta-ionone pour celui de violette. Et ainsi de suite.
Une question d'interprétation
Le problème, encore une fois, réside dans notre interprétation de ce que nous sentons et ressentons. Parce qu'il n'y a pas que les arômes : il y a aussi les goûts et la texture. Ceux-là sont plus simples, ou du moins, devraient laisser moins de place à l'interprétation.
Les goûts sont au nombre de quatre : le sucré, le salé, l'acide et l'amer. Ces quatre éléments sont quantifiables : on dira d'un vin qu'il a une acidité faible ou élevée, qu'il est sec, demi-sec ou sucré. Ils ont aussi leur terminologie propre. Un vin à l'acidité faible peut être qualifié de mou ; celui à l'acidité élevée de vif.
La texture, quant à elle, s'exprime par des sensations tactiles : l'astringence des tanins ou la brûlure de l'alcool, par exemple.
J'expliquais dans ma dernière chronique la nécessité d'un vocabulaire commun. Histoire de se comprendre lorsqu'on échange. Il en va de même pour les goûts et les textures. Nous avons tous des seuils de tolérance différents, il est donc important de se calibrer pour parler le même langage.
Prenons l'exemple d'un Sancerre : son acidité sera toujours plutôt élevée. Pour quelqu'un qui raffole de l'acidité, elle sera juste bien. Pour quelqu'un qui n'aime pas, le vin sera beaucoup trop acide. Deux dégustateurs peuvent donc très bien ne pas s'entendre sur le taux d'acidité d'un vin.
Un dégustateur sérieux et chevronné devrait néanmoins pouvoir, en dégustant un vin, évaluer de façon assez juste le taux d'acidité, tout comme celui de sucre ou d'alcool.
Dans les descriptions de vins, ce sont les arômes qui laissent le plus de place à l'interprétation et, en ce domaine, certains dégustateurs exagèrent vraiment. Oui, un vin peut rappeler le sous-bois : des arômes qui font penser à de l'humus, des feuilles mortes, des champignons. « Sous-bois » pourrait très bien suffire pour les décrire. Le lecteur s'en fera une idée assez précise. Mais quand on lit quelque chose comme : « Feuilles de chêne écrasées dans de la terre compacte après trois jours de pluie froide... » ! D'accord, d'accord, j'exagère un tantinet ! Mais vous voyez où je veux en venir ?
Plutôt que de témoigner d'une prétendue expertise, ce genre de descriptions camoufle un manque de compétences. Et n'aide en rien à comprendre ce que goûte le vin !
Pour la convivialité
Au fur et à mesure qu'on exerce son odorat, on devient de plus en plus précis. Oui, nous faisons la différence entre une pomme verte et une pomme jaune. Elles n'ont pas la même odeur. Tout comme une pomme fraîche, une pomme blette ou une pomme cuite. Et le type précis d'arômes que nous identifions dans un vin peut nous renseigner sur son cépage, sa provenance, son mode de vinification, son âge. Tout comme les goûts et les textures. C'est le propre de la dégustation analytique.
Mais est-ce qu'un compte rendu de dégustation analytique est la meilleure façon de parler du vin ? Ça dépend bien sûr avec qui et en quelle circonstance. Ne vous laissez pas impressionner par des notes de dégustation qui ressemblent à une liste d'épicerie. Vous n'êtes pas moins bon dégustateur parce que vous ne percevez pas tous ces arômes. En fait, certaines personnes semblent plus intéressées par l'étalage de leurs connaissances qu'à susciter l'intérêt de leur interlocuteur. Le vin est pourtant vecteur de convivialité. Il devrait servir à créer et alimenter les discussions, pas à faire des monologues.
Source: LA Presse ( Veronique Rivest)